Dernière mise à jour le 24 mars 2025
Mal rythmé, trop court, sans vraie ambiance ni vision à long terme, le carnaval de Strasbourg déçoit. Pourtant, il pourrait devenir un vrai rendez-vous festif et touristique.
Dimanche, j’ai assisté au carnaval de Strasbourg. J’en suis sorti frustré. Pas à cause de la pluie ou du monde. Mais parce que cette fête, qui pourrait être un moment fort de l’année, donne surtout l’impression d’un rendez-vous expédié. Et c’est dommage. Parce qu’on a tout pour faire mieux.
Une parade trop courte, mal rythmée et sans souffle
Le départ est lancé à 15h place de l’Étoile, discrètement. Ça démarre fort. Trop fort. Les premières troupes passent à toute allure, comme si elles avaient un TER à prendre. On n’a même pas le temps de comprendre ce qu’on voit, ni de profiter de la musique ou du thème de cette année : les contes animaliers. Puis, ça bouchonne. Le rythme ralentit. Le cortège attend, piétine.
Là encore, je vous parle depuis la place de l’Étoile, point de départ des festivités. “C’était encore pire en ville, parce que tous les groupes de la parade ne suivaient pas. Donc il y avait des moments de blanc, sans char, sans musique, sans rien”, me dit une jeune Strasbourgeoise qui a suivi le cortège.
La parade dure à peine 45 minutes. Juste le temps d’apercevoir quelques troupes, deux ou trois chars pas vraiment impressionnants, et c’est déjà fini. Les services de nettoyage passent avant même que les derniers participants aient quitté la place. Le contraste avec d’autres carnavals fait mal. À Nice, la bataille des fleurs dure 1h30. À Kehl, la grande parade dure 2h30 à 3h. Ici, on aurait dit qu’il fallait vite rentrer avant le goûter.
Une ambiance trop calme pour faire la fête
Un carnaval sans musique, c’est un peu comme une tarte flambée sans lardons. Il y avait bien quelques percussions par moments, qui entraînaient un peu la foule. Mais pas de sono, pas de speaker, pas de fanfares en continu, pas de rythme pour faire danser les troupes ou chauffer les spectateurs. Résultat : le public reste passif, les enfants s’ennuient, et les parents se demandent s’ils n’auraient pas mieux fait d’aller au parc. J’ai été frappé du nombre d’enfants qui demandaient à quitter avant même la fin du défilé (qui, rappelons-le, n’a duré que 45 min).
Le thème des contes animaliers aurait pu être fun. On a pu voir quelques loups farceurs, des renards malicieux ou une grosse chèvre. Mais le fil conducteur était flou. On sent que certains groupes ont dû forcer le trait pour coller au thème, parfois un peu tiré par les cheveux. Et sans musique ni vraie mise en scène, ça ne prend pas.
Autre souci : la sécurité. Il y a bien quelques agents ici ou là, mais rien de structuré. Les enfants traversent la parade pour courir après les bonbons, les plus grands bousculent les petits pour se mettre devant, et les parents tentent de suivre sans trop comprendre ce qu’il se passe. C’est la jungle, sans véritable filet de sécurité.
Une organisation bien trop tardive
C’est peut-être là que le bât blesse vraiment. Comment organiser une fête populaire avec aussi peu d’anticipation ? La date du carnaval de Strasbourg 2025 a été annoncée le 10 janvier pour un événement le 23 mars. Date limite des appels à projet : 3 février, soit un mois et demi avant. C’est très court pour mobiliser des associations, monter des chars, préparer des costumes, coordonner des troupes, créer une ambiance. Et communiquer sérieusement.
À Kehl, on connaît la date du carnaval un an à l’avance. Pour 2026, ce sera le 8 février. À Nice, on a déjà les dates du prochain carnaval : du 11 février au 1er mars 2026. Et ce n’est pas un détail : la parade nécessite à elle seule 6 mois de travail, une telle anticipation permet de construire un programme ambitieux, de lancer une communication digne de ce nom, d’attirer des troupes d’autres villes, voire d’autres pays. Et côté budget, le contraste est lui aussi saisissant. Celui de Strasbourg est limité à 25 000 € TTC pour l’édition 2025… contre 7 millions pour celui de Nice.
Une tradition bien réelle qu’on pourrait faire revivre
Ce n’est pas faute d’avoir une vraie tradition du carnaval à Strasbourg. Elle est même ancienne. Elle plonge ses racines dans le carnaval rhénan, partagé avec nos voisins allemands. Mais l’histoire a laissé des traces. Entre les suppressions administratives sous le Reichsland, les périodes de guerre, les tentatives ratées et les débordements des années 70, Strasbourg a peu à peu perdu son carnaval.
Et pourtant, tout est là pour le faire renaître. Une ville magnifique. Une envie de fête. Des bénévoles motivés. Des traditions régionales bien ancrées. Et un public qui ne demande qu’à être emporté dans la fête. Il faut juste un peu plus d’audace.
Et si on faisait (enfin) du carnaval un événement fort à Strasbourg ?
Strasbourg sait faire. Elle l’a prouvé avec son marché de Noël. Avec Strasbourg mon amour. Avec l’été et les illuminations de la Cathédrale (qui, elles aussi, souffrent du manque d’ambition). Pourquoi ne pas donner au carnaval la place qu’il mérite ? Pourquoi ne pas en faire un vrai temps fort pour démarrer la saison touristique ? Un moment festif, familial, créatif, qui marque le retour du printemps et attire du monde dans les rues. Et quitte à ne pas vouloir faire un énième carnaval rhénan, pourquoi ne pas inventer le notre ?
Et si Strasbourg inventait enfin son propre carnaval ?
Pourquoi ne pas imaginer une parade aquatique sur l’Ill ? Comme un clin d’œil à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris. Des chars flottants, des spectacles sur l’eau, un carnaval qui mettrait en lumière les quais, les ponts, la silhouette unique de la ville. Strasbourg est une ville d’eau, il serait temps de s’en souvenir.
Ou alors une parade à vélo, façon course de caisse à savon déguisée. Ce serait l’occasion d’affirmer notre singularité, notre amour du vélo, et de transformer le centre-ville en circuit festif. On y verrait passer des licornes sur deux roues, des dragons à pédales, et des cortèges joyeux traversant les places au son des klaxons fous.
Et pourquoi ne pas imaginer un carnaval européen ? Strasbourg est la capitale de l’Europe, non ? Alors invitons les carnavals d’ailleurs : les tambours de Binche, les masques de Venise, les géants de Catalogne. Mettons à l’honneur chaque année les meilleures troupes de nos voisins et faisons de cette fête un vrai rendez-vous international.
Ne plus tout miser sur la capitale de Noël
Et la récompense serait là : plus de visibilité pour la ville, plus d’attractivité touristique, plus de retombées économiques pour les hôtels, les restaurants, les commerçants. Un carnaval bien pensé, c’est aussi l’occasion de mieux répartir les flux touristiques dans l’année. De faire venir des visiteurs en mars, avant la haute saison, quand la ville cherche justement à se montrer sous un autre jour. Bref, de ne plus tout miser sur Noël.
On peut faire mieux, on peut faire plus grand, plus beau, plus festif. Mais pour ça, il faut y croire, anticiper, et surtout, avoir envie de faire vibrer la ville.